lundi 26 juillet 2010

Le témoignage de Victoire de Saint-Luc

Le plus ancien de tous les documents sur la mort de Jean-Etienne Riou est une lettre de Victoire de Saint-Luc, dont l'abbé Riou partagea la captivité le temps d'une nuit, du 16 au 17 mars 1794, dans les prisons de Quimper. Cette lettre relate le souvenir de cette religieuse qui devait à son tour être guillotinée, après son transfert à Paris. Victoire de Saint-Luc était la nièce de Toussaint-François-Joseph Conen de Saint-Luc, le dernier évêque de Cornouaille, décédé lui-même au seuil de la période révolutionnaire, en septembre 1790. Elle était religieuse à la Retraite à Quimper. Voici la lettre qu'elle écrivit à sa soeur quelques jours après la mort de M. Riou :

Vitrail de l'église de Landudec.
On reconnaît Mgr de Saint-Luc à gauche et
sa nièce, Victoire, à genoux, à droite

« Comment pourrais-je décrire l’anxiété que j’éprouvais quand, voici une semaine, un pauvre prêtre, M. Riou, curé de Lababan, fut amené ici. Il devait être guillotiné le lendemain. J’essayai en vain de soudoyer le geôlier pour qu’il me laisse le rencontrer : en vain. J’en étais peinée à l’extrême, mais je sentais que je ne pouvais abandonner l’espoir de le voir. Je passai la nuit plongée dans la douleur, implorant le secours de Dieu et invoquant saint François-Xavier à qui je faisais une neuvaine pour obtenir la faveur de recevoir le secours des sacrements.

Enfin, le lundi matin, notre porte fut laissée ouverte un moment, et je me dérobai discrètement jusqu’à parvenir à sa cellule. Je l’appelai et lui dis combien j’aurais voulu qu’il m’entende en confession. Il me répondit d’abord que ce ne serait pas une affaire facile : il craignait que je me compromette moi-même. Mon désir était tel, pourtant, que je surmontai toutes les difficultés. Un des prisonniers monterait la garde au pied de l’escalier : il devait nous avertir si jamais un gardien devait s’approcher. Les prisonniers qui partageaient la celllule de M. Riou s’étaient déjà confessés pendant la nuit. Ils m’assurèrent qu’ils se tiendraient à l’autre bout de la pièce. Mais même s’ils avaient entendu quelque chose, je ne m’en serais pas souciée. Je fis ma confession au travers de la porte. Je n’ai pas le temps d’entrer dans les détails, mais Dieu, qui voit les cœurs et les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons, se satisfait de ce que nous pouvons lui donner. Cette dernière absolution me remplit de joie. Je sentais que j’étais investie d’une force toute nouvelle. Je la considère comme une grâce spéciale que Dieu a bien voulu m’accorder en préparation de nouvelles épreuves.

Nous nous sommes mutuellement encouragés. J’aurais tellement aimé pouvoir parler plus longuement avec lui… C’est un vrai saint et un martyr de Jésus-Christ. Il s’avança vers la mort comme vers un triomphe, avec cet héroïsme tranquille que la religion seule peut inspirer. Ses gardes pouvaient à peine le retenir, tellement il était impatient de rejoindre le lieu de son exécution. Mon sacrifice est accompli, je vous assure, et combien j’ai souhaité pouvoir l’accompagner ce jour-là à la guillotine ! J’en aurais été comblée. Il me promit de prier pour moi au Ciel et me légua tous ses petits objets de piété. Je vous envoie, à Charlotte (Mme de Marigo) et toi, son rosaire et sa petite croix : vous vous les partagerez. Adieu… peut-être pour la dernière fois. »

Traduit de l’anglais. Mother St. Patrick, Victoire de Saint-Luc, A martyr under the Terror, London, Longmans, Green & Co, 1920, p. 89-91.

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