lundi 26 juillet 2010

Le témoignage de Victoire de Saint-Luc

Le plus ancien de tous les documents sur la mort de Jean-Etienne Riou est une lettre de Victoire de Saint-Luc, dont l'abbé Riou partagea la captivité le temps d'une nuit, du 16 au 17 mars 1794, dans les prisons de Quimper. Cette lettre relate le souvenir de cette religieuse qui devait à son tour être guillotinée, après son transfert à Paris. Victoire de Saint-Luc était la nièce de Toussaint-François-Joseph Conen de Saint-Luc, le dernier évêque de Cornouaille, décédé lui-même au seuil de la période révolutionnaire, en septembre 1790. Elle était religieuse à la Retraite à Quimper. Voici la lettre qu'elle écrivit à sa soeur quelques jours après la mort de M. Riou :

Vitrail de l'église de Landudec.
On reconnaît Mgr de Saint-Luc à gauche et
sa nièce, Victoire, à genoux, à droite

« Comment pourrais-je décrire l’anxiété que j’éprouvais quand, voici une semaine, un pauvre prêtre, M. Riou, curé de Lababan, fut amené ici. Il devait être guillotiné le lendemain. J’essayai en vain de soudoyer le geôlier pour qu’il me laisse le rencontrer : en vain. J’en étais peinée à l’extrême, mais je sentais que je ne pouvais abandonner l’espoir de le voir. Je passai la nuit plongée dans la douleur, implorant le secours de Dieu et invoquant saint François-Xavier à qui je faisais une neuvaine pour obtenir la faveur de recevoir le secours des sacrements.

Enfin, le lundi matin, notre porte fut laissée ouverte un moment, et je me dérobai discrètement jusqu’à parvenir à sa cellule. Je l’appelai et lui dis combien j’aurais voulu qu’il m’entende en confession. Il me répondit d’abord que ce ne serait pas une affaire facile : il craignait que je me compromette moi-même. Mon désir était tel, pourtant, que je surmontai toutes les difficultés. Un des prisonniers monterait la garde au pied de l’escalier : il devait nous avertir si jamais un gardien devait s’approcher. Les prisonniers qui partageaient la celllule de M. Riou s’étaient déjà confessés pendant la nuit. Ils m’assurèrent qu’ils se tiendraient à l’autre bout de la pièce. Mais même s’ils avaient entendu quelque chose, je ne m’en serais pas souciée. Je fis ma confession au travers de la porte. Je n’ai pas le temps d’entrer dans les détails, mais Dieu, qui voit les cœurs et les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons, se satisfait de ce que nous pouvons lui donner. Cette dernière absolution me remplit de joie. Je sentais que j’étais investie d’une force toute nouvelle. Je la considère comme une grâce spéciale que Dieu a bien voulu m’accorder en préparation de nouvelles épreuves.

Nous nous sommes mutuellement encouragés. J’aurais tellement aimé pouvoir parler plus longuement avec lui… C’est un vrai saint et un martyr de Jésus-Christ. Il s’avança vers la mort comme vers un triomphe, avec cet héroïsme tranquille que la religion seule peut inspirer. Ses gardes pouvaient à peine le retenir, tellement il était impatient de rejoindre le lieu de son exécution. Mon sacrifice est accompli, je vous assure, et combien j’ai souhaité pouvoir l’accompagner ce jour-là à la guillotine ! J’en aurais été comblée. Il me promit de prier pour moi au Ciel et me légua tous ses petits objets de piété. Je vous envoie, à Charlotte (Mme de Marigo) et toi, son rosaire et sa petite croix : vous vous les partagerez. Adieu… peut-être pour la dernière fois. »

Traduit de l’anglais. Mother St. Patrick, Victoire de Saint-Luc, A martyr under the Terror, London, Longmans, Green & Co, 1920, p. 89-91.

vendredi 23 juillet 2010

Témoignages de première main (1)

Dans sa "Notice sur la paroisse de Lababan", le chanoine Pérennès a reproduit des lettres extraites des archives diocésaines de Quimper et qui remontent aux toutes premières années après la mort de l'abbé Riou. La plus ancienne date du 6 décembre 1797. Elle a été envoyé au vicaire général du diocèse de Quimper par un prêtre exilé en Espagne.

« Vous désirez quelques détails sur la mort de M. Riou, Recteur de Lababan ; il fut trahi par Coroller, intrus de Landudec, qui se trouvait même dans la compagnie des scélérats qui l’arrêtèrent dans un village, sur les confins de la paroisse, du côté de Landudec. Ce village, dont j’ignore le nom, appartient à Mlle Rannou, de Quimper.

« Un mois et demi auparavant, je l’avais vu dans un village de Saint-Germain-Plogastel, où il était très bien caché depuis sept semaines, mais dans une triste position. Il me dit qu’il n’était resté en France que pour être utile à ses paroissiens, et qu’il prenait en conséquence le parti d’aller joindre ses brebis. Bientôt après, il fut arrêté par les patriotes de Pont-Croix et conduit à Quimper. On le mena au tribunal. Le premier juge, Kerincuff, lui demanda s’il avait fait ses fonctions. Il répondit que oui, qu’il n’y avait manqué que lorsqu’il était dans l’impossibilité de les remplir, et qu’il croyait que le Juge suprême ne le condamnerait pas pour avoir fait son devoir. On dit que le juge l’engagea à dire qu’il avait 60 ans. A cela, il répondit qu’il ne les avait pas, et que tout cela lui signifiait qu’à ce moment, pour se sauver en France, il fallait être un coquin ou un trompeur. Quand on lui lut la sentence, il rendit grâce à Dieu, disant : « Depuis longtemps, j’ai été gêné pour trouver un logement, j’espère que le bon Dieu m’en donnera un bon pour l’éternité ». A l’heure de sa mort, il a montré autant de courage qu’à son interrogatoire. »

Dans une seconde lettre, datée du 31 Décembre 1797, le même témoin ajoute :

« L’homme chez qui fut arrêté le Recteur de Lababan [Jean Gouletquer] fut condamné à la déportation ; mais heureusement qu’il se trouvait encore dans les prisons de Lorient, à la mort de Robespierre. Sur ces entrefaites, j’eus occasion d’aller à Quimper. J’intéressai un citoyen en faveur de ce malheureux ; il fit une pétition que je fis passer à la paroisse de cet homme, où elle fut signée de tous ceux qui savent écrire ; je la remis à ce citoyen charitable et, trois semaines après, ce pauvre malheureux était dans sa famille. »

jeudi 22 juillet 2010

Eléazar

On aura remarqué, dans la notice de l’abbé Téphany, une référence sans doute obscure pour beaucoup : l’abbé Riou est appelé « nouvel Eléazar ». La référence est biblique : elle renvoie au second Livre des Martyrs d’Israël, dans l’Ancien Testament. Eleazar est un vieillard qui refusa d’acheter sa vie au prix d’un subterfuge. Tel est aussi le mérite de l’abbé Riou, dont l’apparence extérieure aurait pu donner à penser qu’il était sexagénaire, mais qui refusa de bénéficier du traitement de faveur qu’il aurait pu obtenir par le mensonge.

En 167 avant J.C., le roi séleucide Antiochos IV de Syrie interdit la religion juive et remplace, dans le Temple de Jérusalem, l’autel de Yahvé par un autel consacré à Zeus. En avril, un édit de persécution est publié. L’Athénien Géronte, délégué royal, impose l’hellénisation du culte et des mœurs à Jérusalem comme en Samarie. Les juifs sont contraints par la force à renoncer à leurs coutumes.


Voici l'extrait du second livre des Martyrs d'Israël :

Éléazar, un des premiers docteurs de la Loi, homme déjà avancé en âge et du plus noble extérieur, était contraint, tandis qu'on lui ouvrait la bouche de force, de manger de la chair de porc. Mais lui, préférant une mort glorieuse à une existence infâme, marchait volontairement au supplice de la roue, non sans avoir craché sa bouchée, comme le doivent faire ceux qui ont le courage de rejeter ce à quoi il n'est pas permis de goûter par amour de la vie. Ceux qui présidaient à ce repas rituel interdit par la loi le prirent à part, car cet homme était pour eux une vieille connaissance; ils l'engagèrent à faire apporter des viandes dont il était permis de faire usage, et qu'il aurait lui-même préparées; il n'avait qu'à feindre de manger des chairs de la victime, comme le roi l'avait ordonné, afin qu'en agissant de la sorte, il fût préservé de la mort et profitât de cette humanité due à la vieille amitié qui les liait. Mais lui, prenant une noble résolution, digne de son âge, de l'autorité de sa vieillesse et de ses vénérables cheveux blanchis dans le labeur, digne d'une conduite parfaite depuis l'enfance et surtout de la sainte législation établie par Dieu même, il fit une réponse en conséquence, disant qu'on l'envoyât sans tarder au séjour des morts. "À notre âge, ajouta-t-il, il ne convient pas de feindre, de peur que nombre de jeunes, persuadés qu'Éléazar aurait embrassé à 90 ans les moeurs des étrangers, ne s'égarent eux aussi, à cause de moi et de ma dissimulation, et cela pour un tout petit reste de vie. J'attirerais ainsi sur ma vieillesse souillure et déshonneur, et quand j'échapperais pour le présent au châtiment des hommes, je n'éviterai pas, vivant ou mort, les mains du Tout-Puissant. C'est pourquoi, si je quitte maintenant la vie avec courage, je me montrerai digne de ma vieillesse, ayant laissé aux jeunes le noble exemple d'une belle mort, volontaire et généreuse, pour les vénérables et saintes lois."

Ayant ainsi parlé, il alla tout droit au supplice de la roue, mais ceux qui l'y conduisaient changèrent en malveillance la bienveillance qu'ils avaient eue pour lui un peu auparavant, à cause du discours qu'il venait de tenir et qui à leur point de vue était de la folie. Lui, de son côté, étant sur le point de mourir sous les coups, dit en soupirant : "Au Seigneur qui a la science sainte, il est manifeste que, pouvant échapper à la mort, j'endure sous les fouets des douleurs cruelles dans mon corps, mais qu'en mon âme je les souffre avec joie à cause de la crainte qu'il m'inspire." Il quitta donc la vie de cette manière laissant dans sa mort, non seulement à la jeunesse, mais à la grande majorité de la nation, un exemple de courage et un mémorial de vertu. (2 M 6, 18-31)

mardi 20 juillet 2010

Lectio antiquior

Voici la plus ancienne notice que je connaisse au sujet de l'abbé Riou. Elle a été publiée en 1821, ce qui laisse supposer que les éléments ont été recueillis une vingtaine d'années seulement après les événements de 1794. Il est permis de la considérer comme la plus sûre. Pourtant, elle porte déjà la trace de la légende selon laquelle l'abbé avait 59 ans au jour de sa condamnation.

Riou (Jean-Etienne), curé de Lababan, près Quimper, dans le diocèse de ce nom, où il était né en 1735, ayant refusé le serment schismatique, avait néanmoins pu continuer de pourvoir au salut de ses paroissiens. La loi de déportation ne l’arracha point à cette importante occupation ; et il fut pris par les persécuteurs, au commencement de 1794. Ils l’enfermèrent dans les prisons de Quimper ; et le tribunal criminel du département du Finistère, qui siégeait en cette ville, le fit comparaître pour le juger, le 26 ventôse au II (16 mars 1794). L’accusateur public requit contre lui la peine de mort, démontrant qu’il était « prêtre réfractaire, et qu’il n’avait pas obéi à la loi de déportation ». Quelques membres du tribunal, désirant le sauver, lui firent suggérer de se prévaloir de son âge de 59 ans, pour qu’ils pussent le regarder comme étant du nombre des sexagénaires, que la loi du 26 août 1792 avait exemptés de l’exil, à la condition de subir la peine de la réclusion. Mais le curé Riou, n’étant pas encore sexagénaire, n’aurait pu employer cet expédient qu’en altérant la vérité. Il refusa d’acheter sa vie à ce prix ; et sa franchise évangélique alla, dans cette circonstance, jusqu’à l’héroïsme le plus généreux. Le président, qui lui-même voulait le favoriser par un tel moyen, l’ayant, suivant la coutume, interrogé sur son âge, et le respectable pasteur ayant répondu qu’il avait 59 ans, lui répliqua : « Vous vous trompez ; car nous avons étudié ensemble ; vous étiez plus âgé que moi, et comme j’ai cinquante-neuf ans et deux ou trois mois, vous devez en avoir soixante. » Mais ce subterfuge était repoussé par la conscience délicate du curé Riou : il déclara qu’il ne les avait réellement pas ; et le tribunal se crut forcé par la loi de l’envoyer à l’échafaud comme « prêtre réfractaire ». Il mourut bien évidemment Martyr de la religion, et en particulier de son parfait amour pour la vérité.


Abbé Aimé Guillon de Montléon, Les martyrs de la foi chrétienne pendant la révolution française (ou Martyrologe des pontifes, prêtres, religieux, religieuses, laïcs de l’un et l’autre sexe, qui périrent alors pour la foi), Paris, Germain Mathiot, 1821, 4 volumes. (4e volume, p. 471)

Mariage clandestin à la chapelle Saint-Renan

Le 15 Mai 1793, Rolland-Etienne Coroller se plaignait auprès des administrateurs du district de Pont-Croix (L. 246) du "mal infini" commis par les prêtres réfractaires et leurs receleurs. Le jour-même, Michel Gentric (né en 1768 à Plozévet, fils de Michel Gentric et de Marie Kerouredan, tous deux de Plozévet) avait épousé clandestinement, dans la chapelle de Saint-Renan (toute proche de Mespirit) Marie-Anne Le Goff (née en 1772, fille de Jean Le Goff et de Anne Le Joncour, lui de Plozévet, elle de Landudec).

Généalogie de Michel Gentric (1768-1805) et de Marie-Anne Le Goff (1772-1804)

« Je vous dénonce, comme receleurs de prêtres réfractaires, Jacques Le Goff, de Mespirit, en Plozévet, Jacques Gouletquer, de Keralever, en Pouldreuzic, Jean Gouletquer, de Kerbaulic [= Kerbolu], en Lababan, qui ont, dit-on, détourné une jeune personne de Landudec de venir nocer à l’église, une jeune personne, cependant, qui avait approché pendant la Pâque des sacrements. Cette jeune personne et Michel (Gentric), son mari, ont été, dit-on, noces à Mespirit, par le réfractaire de Lababan . On dit avoir vu le dit réfractaire, nommé Riou, sortir de Mispirit, en Plozévet, lundi matin. Les nouveaux époux sont proches parents de Jacques Le Goff, qui y demeure, ainsi que de Jean-Jacques Gouletquer, qui recèlent, dit-on, les réfractaires au moins de trois nuits l’une. Dans quinze jours, j’ai rapporté deux mariages civils, et les personnes ne se sont pas du tout approchées de l’église. Cela ne peut certainement venir que de la part des réfractaires recelés.

« Dans Landudec, nous avons de suspects : la femme de Bernard, maréchal au bourg, qui prêche continuellement la contre-Révolution ; Pierre Kernoa, qui fait le vicaire au Cocq, en Lababan ; Jean Le Bosser, de Kerargan, qui a aussi, dernièrement, fait à une de ses pupilles nocer civilement, sans s’approcher à l’église, et cela après qu’elle avait été nocée à Pouldreuzic par les réfractaires. Je demande que les receleurs que je vous ai indiqués soient tenus de fournir les réfractaires qu’ils recèlent, ou au moins qu’ils soient détenus dans la maison d’arrêt jusqu’à la découverte des réfractaires. Pour à Landudec, il n’est plus possible de tenir, si on ne punit personne.

« Je me vois forcé de mettre ma démission et de courir au large, si on ne peut arrêter les réfractaires de Pouldreuzic et de Lababan, car je risque d’être assassiné, même chez moi, vu qu’on a été assez hardi pour me menacer auprès de mon foyer. Veuillez bien faire toutes les poursuites possibles pour découvrir les réfractaires et punir les coupables, ou les innocents seront la dupe.

« Je suis, avec respect, votre très humble serviteur,
COROLLER, curé de Landudec. »

Source : Chanoine Henri Pérennès, « Notice sur la paroisse de Lababan », Bulletin diocésain d’histoire et d’archéologie, Diocèse de Quimper, 1915 et 1918.

lundi 19 juillet 2010

Le plus vibrant des hommages

De toutes les notices que j'ai collectées à ce jour, celle de l'abbé Téphany est de loin celle qui verse le plus franchement dans le style de l'éloge panégyrique... L'auteur a laissé libre cours au lyrisme le plus débridé. On y découvre Rolland-Etienne Coroller sous les traits d'un fauve rugissant et des juges en larmes au moment de porter leur condamnation... A défaut d'être le plus fiable au plan strictement historique, le récit de l'abbé Téphany est le plus haut en couleurs ! De nombreux motifs sont directement inspirés des hagiographies antiques.


Né, en 1735, au village de Hellez, en Dinéault, M. Jean Étienne Riou, recteur de Lababan, dirigeait cette paroisse, depuis l’année 1774, lorsqu’éclata la tempête révolutionnaire. Prêtre attaché à tous ses devoirs, il refusa énergiquement le serment. Chassé du poste qui lui appartenait canoniquement, malgré tous les décrets de la nation et de ses suppôts, le pasteur fidèle demeura caché au milieu de ses paroissiens, ne voulant pas abandonner son troupeau qu’il voyait livré désormais aux mains de son indigne voisin, l’intrus de Landudec.

[En réalité, Jean-Etienne Riou est né en 1739 et il n’avait que 54 ans au jour de sa condamnation.]

Un jour que cet intrus parcourait la paroisse de Lababan, populabundus agros [ravageant les campagnes], en mercenaire dévastateur, il rencontre un enfant auquel il demande pourquoi il ne vient plus, depuis quinze jours, à son catéchisme. L’enfant lui répond ingénument et sans malice qu’il y avait dans un village un homme âgé qui faisait le catéchisme tous les jours et qu’il n’y manquait jamais. Sachant que cet homme n’était autre que M. Riou, l’intrus court immédiatement le dénoncer au District de Pont-Croix, et emmène avec lui des gendarmes chargés d’arrêter le recteur de Lababan. Arrivés au village où ce dernier se tenait caché, les agents du District firent, en vain, leurs perquisitions dans la maison qui leur fut indiquée par le dénonciateur. Se tenant au dehors, près de la porte, comme un lion rugissant prêt à s’élancer sur sa proie, celui-ci, furieux de l’inutilité de leurs recherches, rentre avec eux, fouille lui-même et livre à ses ennemis le prêtre, qu’il brûlait de sacrifier à son ressentiment contre la religion catholique et ses dignes ministres. Conduit à Quimper, M. Riou fut enfermé dans la maison d’arrêt. Le village où il fut arrêté est Kerbolu, en Lababan.

Suivant les lois du moment, il ne pouvait être condamné à la guillotine, s’il avait eu soixante ans. Comme il lui portait intérêt, le juge criminel le fit prévenir, avant l’interrogatoire, qu’il le sauverait de ce supplice s’il voulait déclarer qu’il avait cet âge, ou qu’il n’avait pas connaissance de la loi.

Dès qu’il parut au tribunal, le juge Kerincuff lui dit : « Tu as certainement plus de 60 ans (on tutoyait alors tout le monde en France). » — « Non, répond le prévenu. » — « Tu te trompes, reprend le juge : tu parais avoir plus de 60 ans. » — « Je vous ai déjà dit, répond M. Riou, que je ne les avais pas, et si vous ne voulez pas me croire sur ma parole, donnez-moi le temps de faire venir mon extrait baptistaire, et je vous prouverai la vérité de ce que j’avance. Je ne veux pas sauver ma vie par un mensonge. » Il donna encore d’autres réponses dignes d’admiration, qui arrachèrent des larmes même à ses juges.

Le nouvel Éléazar est condamné à porter sa tête sur l’échafaud dans les 24 heures : comme il n’avait pas plus peur de mourir que l’héroïque vieillard dont il imitait l’exemple, il entendit cette sentence avec calme et tranquillité, rendant grâces à Dieu, en disant : « Depuis longtemps, j’étais errant ; je ne savais où reposer ma tête ; j’étais gêné pour trouver un logement sûr ; j’espère que le bon Dieu m’en donnera un bon pour l’éternité. »

Il fut reconduit en prison où il ne cessa jusqu’au dernier moment de garder tout son sang-froid. Le jour même de sa mort, il mangea comme à son ordinaire. Il fit inviter à dîner avec lui M. Le Coz, recteur de Châteaulin, et Bourbria, recteur de Mescloaguen, qui avaient eu le malheur de prêter le serment. Lorsqu’on lui apprit le refus de ces messieurs, il s’écria douloureusement : « Ah ! c’était peut-être la dernière grâce que Dieu leur accordait ! » En effet, M. Bourbria est mort dans le schisme ; après y avoir vécu plusieurs années, M. Le Coz a eu le bonheur d’en sortir et de réparer par une vie vraiment sacerdotale et pleine de bonnes oeuvres le scandale qu’il avait donné.

Mlle de Saint-Luc, détenue dans la même prison que M. Riou, dîna avec lui. Comme elle pleurait, il la consola, en lui disant : « J’ai eu trois beaux jours dans ma vie : le jour de mon baptême, le jour de mon ordination et le jour d’aujourd’hui. »

Le repas fini, il la confessa ainsi que plusieurs autres prisonniers. Vers deux heures et demie, s’adressant à ceux qui restaient et qui se pressaient autour de lui pour recevoir aussi le sacrement de pénitence, il leur dit ces paroles qui révélaient dans leur simplicité la sainteté et la candeur de son âme sacerdotale : « Mes enfants, je cesse de confesser, car je n’ai plus qu’une demi-heure à vivre ; ce n’est pas trop pour me préparer à la mort. » Il se retira aussitôt. A trois heures, les bourreaux se présentent pour le conduire au lieu du supplice. Ils lui demandent si on lui mettrait une corde au cou, il répond : « Comme vous voudrez. » On lui demande encore si on lui lierait les mains derrière le dos, et il répond : « Comme vous voudrez. » On lui laisse les mains libres, et on ne lui mit pas de corde au cou. Il marcha bravement et même avec joie à la mort. On raconte que, durant le trajet, il entonna l’hymne Sanctorum meritis ; c’était le chant de triomphe du glorieux martyr de la foi qui, supérieur à tous les tourments, allait recevoir dans le ciel la récompense due à son invincible patience. Arrivé sur l’échafaud, il voit le bourreau trembler ; il s’approche de lui et lui dit, en lui frappant sur l’épaule : « Mon ami, ne tremblez pas ; le mal que vous me ferez passera bientôt ; je vous pardonne ma mort. » A ces mots, il s’incline sous le tranchant de la guillotine, et sa tête tombe du premier coup. C’était le 16 Mars 1794.

Le brave paysan chez lequel était caché M. Riou fut arrêté avec lui et condamné, quelque temps après, à la déportation. Il fut incarcéré au château de Port-Louis, où il demeura jusqu’à la mort de Robespierre ; mais après la mort de ce scélérat il fut mis en liberté, réintégré dans ses biens, et il reçut des assignats en indemnité de ce qu’il pouvait avoir perdu.

La mort de M. Riou eut un grand retentissement dans tout le pays où elle fit la plus salutaire impression. Elle convertit à Dieu et ramena au bercail une foule de brebis égarées, notamment dans les paroisses de Landudec et de Plovan, et dans la ville de Quimper. M. Riou donna son chapelet à Mlle de Saint-Luc, devenue depuis Mme de Silguy ; plus tard elle le donna à M. Larc’hant, recteur de Saint-Évarzec, pour le récompenser d’avoir cité l’exemple de M. Riou, en prêchant sur le mensonge. Elle fut si heureuse d’entendre rappeler cette mémoire qu’elle lui fit présent de cette précieuse relique.

[En réalité, Mlle Victoire de Saint-Luc, que l'abbé Riou a rencontré dans les prison de Quimper, a été conduite à l'échafaud le 19 juillet 1794, avec ses parents, à Paris. C'est sa soeur Angélique qui est devenue Mme de Silguy.]

Aujourd’hui, à près d’un siècle de distance. le souvenir des vertus de M. Riou et de sa mort glorieuse est encore vivant dans les populations qu’il a évangélisées et édifiées ; il y vit et vivra toujours pour les porter à l’accomplissement de leurs devoirs, suivant cette parole de nos saints livres : « La mémoire du juste sera éternelle ! »

Abbé Joseph-Marie Téphany, Histoire de la persécution religieuse dans les diocèses de Quimper et de Léon de 1790 à 1801, Quimper, 1879, 667 p. (p. 380-384).

Nocturnes

C'est au musée des Beaux-Arts de Rennes que se trouve l'oeuvre de Louis Duveau (1818-1867) intitulée "Une messe en mer", qui fait mémoire de ces temps où les chrétiens devaient se rassembler en clandestinité pour les actes du culte.


Présentation de l'oeuvre sur le site "L'Histoire par l'image"
Page consacrée à l'oeuvre sur le site du Musée des Beaux-Arts de Rennes

L'abbé Riou ne semble pas avoir eu à se réfugier en mer, ni dans les bois. En revanche, il n'est pas impossible qu'il se soit abrité à l'ombre de la nuit pour remplir son office. Le curé de Landudec, Coroller, insiste suffisamment dans ses lettres de dénonciation, sur le fait qu'il n'a pas le contrôle sur tout ce qui se passe dans les chapelles voisines pour qu'on puisse supposer que c'est principalement dans ces petites chapelles que l'abbé Riou officiait. En mai 1793, c'est, selon Coroller, dans la chapelle St Renan, toute proche de Mespirit, à Plozévet, que Michel Gentric et Marie-Anne Le Goff ont été mariés clandestinement par l'abbé Riou.


La chapelle de St Ronan (Crédit photo : Jean-Michel Lafargue)

D'autres noces ont été célébrées à Pouldreuzic à la même époque. Mais c'est bien la chapelle du Loch qui semble avoir constitué le QG de l'abbé réfractaire. Le curé de Landudec y dénonce une activité nocturne incessante : baptêmes, mariages, noces... au point qu'il lui semblait indispensable que les clés de cette chapelle soient saisies.

dimanche 18 juillet 2010

Sur le lieu de l'arrestation

C'est dans la nuit du 13 au 14 mars 1794 que Jean-Etienne Riou a été arrêté, dans le petit village de Kerbolu.

La veille de l'arrestation, Rolland-Etienne Coroller, le curé constitutionnel de Landudec et fervent dénonciateur des "enragés" et des "mauvais citoyens" écrivait aux autorités du district de Pont-Croix :

« Je vous ai déjà dénoncé, comme receleurs de prêtres réfractaires, les habitants des villages circonvoisins de la chapelle du Loch, en Lababan, où l’on fait de nuit baptêmes, mariages, noces, Il est, dit-on, certain que les prêtres réfractaires courent par ce pays et disposent, dit-on, les esprits à une révolte. Les patureurs de vaches disent qu’ils voient des prêtres réfractaires courir par les champs. C’est à l’administration de faire prendre les clefs du Loch et capter les municipaux de Pouldreuzic et Lababan jusqu’à ce qu’ils aient fait prendre leurs prêtres. »

L'abbé Riou était caché, dans un "appartement secret", en tenue de paysan, chez Jean Gouletquer et son épouse, Madeleine Gentric. Ce couple, qui s'est marié à Lababan en 1776 (avant que M. Riou devienne recteur de la paroisse) était installé à Kerbolu, où sont nés leurs enfants Jeanne et Jean en 1777 et 1778.

Ce village faisait partie, à l'époque, de la paroisse de Lababan et se trouve aujourd'hui sur la commune de Landudec. Il se trouve au sud du bourg de Landudec et au nord-est du bourg de Pouldreuzic, bien en retrait de la route qui joint les deux localités.

Jean Gouletquer est fils de Jacques Gouletquer (de Plozévet) et de Marguerite Vigouroux (de Landudec). Madeleine Gentric est native de Plozévet (de Kerlaéron, très exactement) : elle est fille de Guillaume Gentric (1709-1776), lui-même fils de Alain Gentric et Madeleine Gourret, et de Marie-Josèphe Kernoa (1711-1759). Madeleine était installée à Kerbolu depuis son premier mariage, en 1765, avec Philibert Jolivet, lui-même natif de Kerbolu.

Pour en savoir davantage : Généalogie de Madeleine Gentric

Nécrologie révolutionnaire

Nous connaissons vingt-deux prêtres appartenant, à un titre ou à un autre, au diocèse de Quimper, qui auraient péri de mort violente, pour ne s’être pas soumis aux lois de la Constitution civile du Clergé, et cela soit par la fureur populaire, soit par suite d’une condamnation prononcée contre eux.

Neuf appartenaient au diocèse de Léon : MM. Claude-Alexandre LAPORTE, s.j. , vicaire de Saint-Louis de Brest (mort à Paris dans les massacres de septembre 1792), Jean DREVEZ, vicaire à Saint-Sauveur de Brest (guillotiné à Brest), Jean HABASQUE, vicaire à Kerlouan (guillotiné à Lesneven), Guillaume PETON, vicaire à Kerlouan (guillotiné à Lesneven), Jean BRANELLEC, vicaire à Saint-Pol de Léon (guillotiné à Brest), Tanguy JACOB, vicaire à Saint-Pabu (guillotiné à Brest), Yves MEVEL, capucin de Roscoff (guillotiné à Brest), François LE GALL, recteur de Plouénan (guillotiné à Quimper), François CORRIGOU, aumônier des Ursulines de Léon (guillotiné à Quimper), Yves COAT, prêtre à Nantes, originaire de Saint-Thégonnec (mort noyé à Nantes), Claude CHAPALAIN, vicaire à Sizun (guillotiné à Brest).

Neuf prêtres appartenaient au diocèse de Quimper : MM. Louis-Vincent GILART DE L’ARCHANTEL, chanoine (fusillé à Quiberon), François LE COZ, recteur de Poullaouen (guillotiné à Quimper), Jean-Etienne RIOU, recteur de Lababan (guillotiné à Quimper), Gabriel RAGUENES, vicaire à Landudec (guillotiné à Quimper), Jean-Sébastien ROLLAND, vicaire à Trébrivan (guillotiné à Quimper), Jacques-Pierre BURLOT, prêtre à Saint-Guen (guillotiné à Saint-Brieuc), François-Hyacinthe LE LIVEC, s.j. , né à Quimper (mort à Paris dans les massacres de septembre 1792), Vincent-Joseph ROUSSEAU, s.j. , aumônier des Ursulines de Carhaix (mort à Paris dans les massacres de septembre 1792), Nicolas-Marie VERRON, s.j. , né à Quimperlé (mort à Paris dans les massacres de septembre 1792).

Deux prêtres, enfin, appartenaient au diocèse de Tréguier : MM. Louis-Marie COUNAN DES JARDINS, chanoine du Mur, Morlaix (guillotiné à Saint-Brieuc), Augustin LE CLEC’H, de Plestin, saisi à Morlaix (guillotiné à Brest).

Source : Bulletin diocésain d’histoire et d’archéologie, Diocèse de Quimper, 1918, p. 28-29.

La chapelle de Lababan